Marcel
Duchamp répondait à André Breton, après l'avoir assuré qu'il était
l'homme le plus intelligent du XXe siècle, que le mot intelligence
était le mot le plus élastique que l'on puisse inventer. Je me souviens
que cette déclaration m'avait fait penser à Lucie Duval, à son oeuvre si bien concoctée où le langage des mots s'unit à celui des images.
Grande
voyageuse, attentive et curieuse dans cet univers complexe et fragile,
Lucie Duval parcourt divers sentiers. Elle s'attarde au sens des mots,
les confectionne et nous les propose dans une mise en scène toujours
renouvellée. Ingénieure à ses heures, Lucie Duval est une artiste
totalement engagée, qui prend plaisir à inscrire des mots et à nous les
faire mieux voir ou interpréter.
photos: Alain Lucien 2009

Merci
Lucie pour le temps et les idées que tu as bien voulu partager avec
nous lors de ton (long) séjour auprès de notre conseil d'administration.
Depuis sa fondation en 1989, Occurrence a
pour mandat de représenter avec force la recherche dans le domaine des
arts visuels et médiatiques, tout en maintenant une expertise reconnue
dans le champ photographique. Accueillant et sollicitant une diversité
de points de vue, aussi bien sur les plans pratique que théorique,
Occurrence réunit chaque année un comité composé d’artistes,
d’historiens de l’art et d’auteurs. Ce jury a pour mission d’établir la
programmation, de concert avec le conseil d’administration.
Un
des objectifs majeurs d’Occurrence est notamment le développement de
liens avec des centres d’ici et de l’étranger. La galerie est en effet
initiatrice et coordonnatrice de projets à l’échelle internationale,
afin de favoriser la diffusion des oeuvres d’artistes canadiens à
l’étranger. Depuis son arrivé sur l’avenue du Parc, dans le quartier
Mile-End, le centre jouit d’une vitrine ayant pignon sur rue. Puisque
le centre est fermé tout le mois d’août, il nous fait plaisir d’offrir
la vitrine à l’artiste Lucie Duval afin qu’elle expose une partie de sa série qui a pour titre Amputation et Manipulation. Pour plus d’information sur notre centre, visitez notre site web à l’adresse suivante : www.occurrence.ca
Amputation et Manipulation
Démarche artistique et description du projet « Amputation et Manipulation »
J’ai souvent questionné la fin du regard ou plutôt
sa finesse ; les mots se jouent des objets et des images. Faire émerger
une nouvelle filiation et basculer les sens : «trois» «petits» «mots».
Ceux-ci gravés sur des plaques de verres devant lesquelles se trouvent
3 loupes. Petits ou gros mots? Le dispositif même crée un paradoxe.
L’exposition Mainmises,
présentée à la galerie Joyce Yahouda en mai 2006, s’est développée
autour d’un objet usuel suscitant chez moi diverses réflexions. Gants
pour travailleurs « made in China » retrouvés en paquet dans toutes les
quincailleries. Mondialisation oblige, tout se fabrique à moindre coût
en Chine au détriment des travailleurs d’ici (et que dire des
conditions de travail…). L’objet devient contradictoire : gants de
travailleurs, faits en Chine, versus chômeurs d’ici. Une série de
vêtements-sculptures et une série de photographies basées sur ces
prémisses furent créées. Les photographies faites à partir des
vêtements-sculptures utilisaient des mots. Sur chaque photographie un
mot français doublé de deux traductions possibles offrent un univers de
significations contradictoires comme ces gants.
Cette
exposition fut également présentée au centre d’artistes Regart, au
Laboratoire de l’Agora et à la galerie Isabelle Gounod, Paris (nov-déc
2008) et à l’ISELP, Bruxelles (mai-juillet 2009) . Pour ces dernières
expositions présentées à Paris et à Bruxelles, la réflexion s’est
poursuivie en utilisant une autre discipline, à savoir la vidéo. Ici,
le paradoxe va encore plus loin. Il se trouve dans le médium même. La
vidéo révèle la « tridimentionnalité » de ces vêtements-sculptures,
mais rend ceux-ci par une planéité de l’image. Ce qui est montré comme
sculptural devient pictural et ironiquement intouchable. (voir vidéo)
Toujours
à partir des gants de travailleurs « made in China », une série de
lapins (jusqu’à ce jour 150, peut-être d’autres à venir). La forme du
gant se prête particulièrement bien à celle du lapin. Ce dernier étant
très prolifique, il devient en quelque sorte un symbole de la
reproductibilité ; de la productivité à la reproductibilité.
Il y a quelque chose du travail à la chaîne, de la quantité produite et
de mon rendement à les fabriquer, à les personnaliser. Combien de
lapins différents en utilisant toujours les mêmes matériaux : gant,
molleton et fil? Ils sont fait main, donc tous différents de par leur forme, leurs caractéristiques, leur personnalité…
Ces lapins-nounours sont des lapins cicatrisés. Sous une
première apparence candide, naïve et doucereuse il a fallu couper des
doigts (ceux des gants), coudre, raccommoder… D’où le titre «
Amputation et manipulation », ce qui rappelle certaines conditions de
travail dans les manufactures.
Possibilité d'adoption des lapins
En
2007, la Chine modifie ses critères face à une demande croissante
d’adoption internationale ; il ne s’agit plus simplement de vouloir un
enfant et d’être en mesure de l’élever, il faut correspondre à certains
critères précis : l’âge, la santé physique et mentale, critères financiers à respecter, présenter son lieu de vie, ne pas avoir de dossier criminel, etc.
Par ailleurs et en parallèle, certaines boutiques de jouets ainsi que des sites web proposent l’achat de poupées en adoption… Lors de l’exposition tenue à Paris en nov-déc 2008, une dizaine de lapins furent exposés et mis en adoption internationale.
Les conditions d’adoption :
- Il n’est pas question de demander l’âge ou le bilan de santé du (des) parent(s), l’imagination est le pré-requis;
- Choisir le lapin;
- Payer le lapin;
- Une fois le lapin adopté, respecter le suivi de l’adoption;
- Donner un nom au lapin;
- Adresser à Lucie Duval, le nom donné au lapin ainsi qu’une photo du lapin dans son nouvel environnement;
- Lucie Duval adressera ensuite au(x) parent(s) adoptif(s) une histoire, celle relatant le passé du lapin adopté;
-
Donner l’autorisation ou non pour le lapin de figurer sur un éventuel
site web (type facebook), l’artiste le souhaitant. Ce site hébergera
les lapins, réunira leurs photos, une « installation photographique »
serait possible. Des rencontres futures, réelles ou virtuelles de tous
ces lapins et propriétaires disséminés à travers le monde pourraient
être organisées. Pourquoi ne pas imaginer une correspondance entre tous
ces lapins…
Pour
Lucie Duval, le jeu s’inscrit dans le processus de la productibilité :
fabriquer/créer, exposer. Élaborer ensuite un système qui emprunte au
marketing, joue sur l’affectif et trouve son fondement dans l’art, le
concept : adopter une œuvre d’art. Ce concept questionne les modes de
conventions présentés sur Internet : quelles sont ses limites, celles
du statut de l’œuvre?
Exposition à venir de l'artiste
Voilà donc comment certains lapins ont quitté l’atelier
pour la première fois. La prochaine fois, ils seront présentés au Musée
d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, de juin à octobre 2010. Lors de
cette exposition ils seront suspendus par les oreilles dans un immense
manège composé de 8 carrousels.
Ces cent cinquante lapins ont été
faits au rythme d'un par jour. En plus de ce qui a été écrit sur ma
motivation, une chose nouvelle est apparue. Inconsciemment, le lapin
fabriqué tel jour révèle quelque chose de mon état à ce moment. C’est
dire que chacun de ces lapins peut être associé à une journée. Journal
de bord ou journal intime (c’est selon).
Dans l’atelier, toujours un peu
plus nombreux, ces lapins ont tissé des liens. Des rumeurs sourdent,
des histoires s’en suivent.
Ces lapins déjà photographiés
(répertoriés) ont leur petite histoire. Avant qu’ils ne se dispersent à
travers le monde, garder une trace (j’ai toujours adoré le palindrome écart et tracé).
Parfois juste quelques mots, quelquefois un paragraphe (selon leur personnalité et leur secret). Par la suite, choisir les histoires
qui sont les plus pertinentes ou plutôt, les plus touchantes (voire
surprenantes). C’est justement là que je retrouve ce qui a toujours
motivé ma démarche : mettre en relation images (ou objets) et mots. Il sera sûrement intéressant de comparer ce que moi j’ai imaginé sur eux et ce que leurs parents adoptifs en ont fait…
Une
publication, qui ne sera pas un catalogue mais un objet où les images
et les mots vont s’entrecroiser, non sans chocs, où un soin particulier
sera apporté à la façon de « donner à voir ». Ne jamais oublier que ces
lapins sont en quelque sorte des mutilés… Les mots en seront d’autant
plus aiguisés. Des histoires à tirer par les oreilles qui seront
publiées aux éditions Sagamie à l’automne 2009.
  
Pour
adopter un lapin :
suivre les conditions d'adoptions mentionnées
ci-haut et contacter l'artiste par le biais d'Occurrence centre d'essai
et d'art contemporains au 514 397-0236, ou pour plus d'informations remplir le court formulaire ci-joint. Le coût d'adoption des lapins est de 200.00$/ch.
Un certificat d'adoption sera délivré.
Formulaire à remplir pour les personnes désirant plus d'informations concernant l'adoption de lapin
Nom et prénom :
Adresse courriel ou no de téléphone :
Numéro du lapin désiré ou autres informations demandées :
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